Syndical
Le monde change, l'Europe doit s'adapter
Au beau milieu de cette campagne d'élections Chambre, la FDSEA et les JA ont choisi le thème de l'Europe pour leur meeting commun.
La salle était comble jeudi dernier à Rouillon pour accueillir des intervenants de premier ordre quand il s'agit de parler d'Europe : Jérémy Decercle, ancien président de JA et ancien député européen, Franck Sander, vice-président du Copa, le syndicat des agriculteurs européens, et Alexis Roptin, le local de l'étape, vice-président de JA national.
Plus de fierté
Le retour sur les mobilisations et les acquis de 2024 a occupé la première partie de la soirée. Pour Franck Sander, il y a "un avant et un après". Car même s'il reste "encore beaucoup de choses à obtenir", le responsable syndical l'affirme : "Il y a plus de fierté aujourd'hui dans le monde agricole. Avant, oser parler de phytosanitaires ou d'accès à l'eau était devenu compliqué. Aujourd'hui, les agriculteurs osent plus et la presse nous a suivis". En atteste le nombre de reportages consacrés à la crise agricole, où les agriculteurs, responsables syndicaux ou non, ont pu s'exprimer de manière décomplexée sur le ressenti de leur métier. "Un bouchon a sauté" confirme le secrétaire général de la FDSEA Dominique Rousseau, "ce qui a quand même traduit un sacré malaise !". Mais au final, des avancées presque inespérées : "Qui aurait cru il y a un an qu'on aurait obtenu le maintien du glyphosate sur 10 ans, le retrait des 4% de jachères, la détaxation du GNR, l'exclusion des bovins de la directive IED, le recalcul du ratio prairies permanentes qui concerne votre département et votre région, ou encore l'abandon de la directive européenne SUR sur les phytos ?" égrène Franck Sander.
Arrêter d'être naïfs
Et si les agriculteurs français se tournent naturellement vers leur ministre de l'Agriculture français pour obtenir des réponses, un certain nombre de dossiers dépendent aujourd'hui clairement de la stratégie européenne, à commencer par ce qui concerne les distorsions de concurrence. "La commission européenne a à la fois une vision extrêmement libérale quand il s'agit de commerce, et en même temps une vision de bureau un peu écolo quand il s'agit de parler des moyens de production et des normes" regrette le vice-président du Copa. Lecture partagée par Jérémy Decercle qui a eu l'occasion de l'expérimenter de l'intérieur en tant que député européen "notamment quand la commission du commerce international nous disait clairement que les hormones, ce n'était pas leur problème...". Or dans une Europe, cernée d'un côté par les velléités expansionnistes de Poutine et de l'autre par le protectionnisme réaffirmé de Trump, il s'agit aujourd'hui pour les Européens de sortir de leur léthargie. "Il faut qu'on soit forts sur nos coûts de production, parce qu'à chaque fois, c'est l'importation qui progresse !" clame Franck Sander, qui appelle l'UE a se doter d'une "vraie stratégie énergétique sur le gaz, mais aussi sur l'azote, le phosphore..." tout comme il milite pour obtenir de Bruxelles une Pac renforcée : "Non seulement on ne veut pas que le budget baisse, mais il faudra qu'il augmente demain pour tenir compte de l'inflation que nous subissons".
"Il faut qu'on arrête d'être les naïfs du village mondial" renchérit Jérémy Decerle, pour qui il faut "à la fois ne pas se fermer au commerce international mais être intransigeant sur la réciprocité des normes". L'ancien député européen préconise de "mettre des contrôleurs au Brésil, en Argentine, dans tous les pays qui prétendent vouloir nous envoyer de l'alimentation" afin que les fameuses "clauses miroir" soient effectivement garanties. Sans quoi "c'est la mort de nos filières", rappelle à juste titre Alexis Roptin illustrant son propos avec l'exemple local de la fermeture de l'abattoir Charal à Sablé-sur-Sarthe.
Se battre sur les moyens de production
Pour concilier les enjeux de compétitivité et d'agro-écologie, Jérémy Decerle fait une proposition détonante, qui emporte l'adhésion de la salle : "Il vaudrait mieux que les parlementaires arrêtent de travailler là dessus !". Pour être clair, pour lui, ce n'est ni aux fonctionnaires ni aux dirigeants européens de fixer la largeur des bandes enherbées. "Qu'ils se reposent sur ce que les agriculteurs font déjà, et bien !". Franck Sander va plus loin, sur les moyens de production et insiste de son côté pour que l'Europe finisse par adopter la technologie de sélection des NGT (New genomic techniques), qui ouvre selon lui "une formidable voie de progrès". "Si on n'y arrive pas, on va prendre beaucoup de retard, au moment même où l'UE s'apprête en juin prochain à faire entrer l'Ukraine dans le marché agricole unique". L'Ukraine et ses fermes de 25 000 ha, l'Ukraine et ses OGM... Sur ce dossier sensible, l'élu syndical le dit très clairement : "on demande trop d'efforts en l'état à l'agriculture européenne, qui ne pourra pas les supporter seule".